Alain Renaud Cours
Styles de mobilier
L’Art Nouveau comme style de
mobilier
Travail remis le 1er mars
2005
à Éric Godbout
Programme Ébénisterie
École Émile-Legault,
Montréal
Les styles de mobilier
Dans le cadre du cours
de Styles de mobilier du programme d’Ébénisterie de la Commission
scolaire Marguerite-Bourgeois, on nous a demandé d’étudier un sujet en
particulier, dans ce cas l’Art Nouveau. On sait que la fabrication de meubles à
un moment et un endroit donné est influencée par divers phénomènes dont la
culture, les modes et les courants artistiques. Ceci peut se cristalliser dans
un design de mobilier assez particulier pour que l`histoire et la critique en
fasse un style en soi, comme par exemple le style Régence ou l’Art déco. On
verra plus bas que l’Art Nouveau constitue un autre style de mobilier
intéressant à étudier de plus près.
On étudiera d’abord ce
mouvement et cette période artistique dans les arts en général, puis on en
verra brièvement son influence dans deux domaines reliés à l’ébénisterie, soit
l’architecture et la décoration, pour ensuite se concentrer sur l’aspect
mobilier du phénomène, sans compter les spécificités nationales et
personnelles, en terminant par des exemples de meubles pertinents.
L’origine du terme Art
Nouveau est assez particulière : à la fin du 19e siècle, il y
avait à Paris (France) un magasin de décoration opéré par l’allemand Samuel
Bing et baptisé L’Art nouveau. Ce personnage fut d’ailleurs impliqué de
près dans le milieu de la décoration et par ses commandes, dans l’impulsion de
cette tendance. Il faut se rappeler le contexte de la naissance de ce
courant : le mouvement artistique Arts and crafts préconisant déjà
un retour à la nature et à l’artisanat prend son envol vers 1885; l’école
d’ébénisterie française Boulle ouvre ses portes en 1886; Paris reçoit une
exposition universelle en 1889, occasion de la construction de la Tour Eiffel
(il y en aura une autre en 1900 d’ailleurs).
À partir de ces
influences et d’autres, l’Art Nouveau se définit alors comme un mouvement
artistique original et cohérent dont la période essentielle se situe entre 1890
et 1915 environ (la première guerre mondiale mit fin à cet élan). Il s’agissait
selon un de ses participants de faire une « révolution contre le
pastiche » (les arts tournaient alors autour de répétitions du passé
depuis 50 ans). Pourtant M. Thonet à Vienne avait déjà joué un rôle de
précurseur en fabriquant des meubles aux formes organiques en bois courbé, de
façon industrielle, peu chers (sa chaise bistro atteignait déjà 30 millions
d’exemplaires dans les années 1930).
Il existe aussi d’autres
termes pour désigner ce même mouvement artistique, soit Modern’style ou
encore Style 1900, et même d’autres désignations selon les pays, par
exemple Jugendstil. Les thèmes principaux du mouvement sont : le
symbolisme (un autre courant artistique littéraire anglo-français populaire à
la fin du 19e siècle), l’esthétisme, la beauté féminine, le
naturalisme (dont le printemps, le paon, le cygne, les insectes, les plantes
comme l’iris, le nénuphar, le gui, le houx et les algues). On voulait que les
objets soient des œuvres d’art, que leur conception soit faite en fonction
d’une vie agréable. On détecte cependant deux grandes tendances : les
latins (lignes plutôt courbées) par rapport aux nordiques (lignes plus
géométriques rectilignes).
Beaucoup d’artistes de
l’Art Nouveau était en fait des architectes qui ont voulu amplifier leur
présence en concevant des objets pour remplir les espaces construits. Par
exemple, on pensera à H. Guimard qui a conçu les bouches de métro parisiennes
(voir photo en annexe). C. R. Mackintosh était également avant tout un
architecte qui a conçu l’École des beaux-arts de Glasgow et plusieurs maisons
huppées (voir photo en annexe). Souvent ces professionnels dessinaient des
meubles encastrés sur mesure pour chaque projet de construction et les
faisaient fabriquer par des ateliers indépendants. On a donc beaucoup de mobilier fixe ou urbain dans ce style.
Un des aspects
relativement neuf de ce mouvement a été la présence de plus en plus grande du
métier de décorateur comme tel dans la vie artistique. Par exemple, Mucha à
Prague dessinait des affiches et des vitrines (voir photo en annexe).
Ayant compris l’importance de la période Art Nouveau dans les arts en général, voyons maintenant plus spécifiquement son influence dans le domaine d’intérêt des ébénistes, c’est-à-dire les meubles comme tel. Pour ce qui est du style, on l’appelait « nouille » (ligne incurvée terminée en coup de fouet) avec des éléments de minceur; ou japonisants; ou d’asymétrie et d’irrationnel (tablettes, niches, buffet à deux corps vitré, lit à chevets inégaux, guéridon à trois pieds, siège rembourré à dossier flexueux, dossier deux fois trop haut, etc.). Octave Mirbeau écrit à propos de ce style : « les meubles ont l’air d’avoir bu ».
On favorisait ainsi les moulures sinueuses, les drapés sculptés, les effets de mouvement et le décloisonnement. On préférait les étoffes imprimées plutôt que la soie et on redécouvrait la polychromie (délicats délavés ou blanc et noir). Pour ce qui est du choix des bois, on le préférait clair : chêne, noyer, érable, platane, poirier, avec des touches de bronze, de plomb et de verre ou de céramique.
La
période Art Nouveau ne s’est pas déroulée de la même façon selon les pays et
n’y a pas eu la même place ou engendré les mêmes talents. Voyons quelques pays
plus touchés par ce phénomène.
France : On peut conclure que
c’est là que le nouveau concept a pris son envol majeur. On y proposait plus
précisément les volutes, les courbes, les pieds bas, la poésie, le rêve, la
construction illogique mais, la finition devait être belle. H. Guimard,
l’architecte du métro parisien, a été un des leaders (voir photo en annexe).
Émile Gallé est un artisan dont les œuvres de céramique et de verre sont encore
recherchées aujourd’hui par les collectionneurs (voir photo en annexe).En
dehors de Paris,l’École de Nancy née vers 1900 fut un foyer important
d’artisans : Louis Majorelle est sans doute le plus reconnu, notamment pour ses
ouvrages de fer (voir photo en annexe). Georges de Feure, F. Carabin et Eugène
Vallin sont d’autres artisans significatifs de cette période.
Belgique : Henri van de Velde
fut sans doute l’artisan belge le plus représentatif de l’Art Nouveau. Il
dit : « la conception d’objets d’art emprunte à la fois au nouveau et
à l’ancien, il est donc normal que cela mène aux extrêmes» (voir photo en
annexe). Victor Horta fut aussi très actif : pensons à l’hôtel Solvay à
Bruxelles où il dessina tout les intérieurs (voir photo en annexe).
Espagne : Antoni Gaudi était passionné par les combinaisons de matériaux, qu'ils soient le produit
de l'industrie moderne ou ceux du savoir faire traditionnel, grand connaisseur
des structures gothiques et baroques, admirateur critique des théories
rationalistes d'Eugène Viollet-le-Duc et hanté par un vaste rêve naturaliste
tout en courbes.
Autriche : à Vienne, le
mouvement d’artisans appelé Wiener Werkstätte est assimilé au nouveau
courant de pensée. Cependant l’architecte Wagner et Hoffmann (qui a décoré le
palais Stoclet de Bruxelles) poussait beaucoup plus l’aspect géométrique,
presque de l’art déco avant l’heure (voir photo en annexe).
U.K. : Charles R. Mackintosh est un architecte mondialement connu qui se faisait une joie de meubler et décorer les intérieurs de ses riches clients et certains lieux publics aussi (salons de thé Cranston, Willow, Argyle). Il est peut-être celui qui a su le mieux combiner les tendances courbes latines et rectilignes nordiques (voir photo en annexe). Macmurdo est un autre artisan qui ressort du lot.
Allemagne : le Jugendstil
de Berlin (Olbrich) et le Deutscher Werkbund (Peter Behrens) suivaient
aussi de près les événements, mais encore là avec une emphase nordique pour une
géométrisation plus rectiligne, en relation directe avec le futur Bauhaus.
Hollande : Berlage pratiqua un art
assez restreint qui fut battu en brèche 20 ans plus tard par De Stijl
(Rietveld).
Scandinavie : G. Munthe et E.
Saarinen sont les deux designers les plus influents de ces contrées à cette
époque.
Italie : ce pays latin a connu aussi
quelques avocats du nouveau courant, entre autres Ernesto Basile en Sicile.
E.U. : Louis Comfort
Tiffany : bien qu’ìl y eut peu de leaders américains dans ce mouvement car
ceux-ci étaient encore assez conservateurs et repliés, on peut penser à ce fabricant
célèbre de lampes (voir photo en annexe).
Livres Art Nouveau; Styles Meubles Décor, Larousse, 1972; Furniture, W. Lucie-Smith, 1979,Thames&Hudson; des sites Web de fabricants et organismes culturels (l’Agence Photographique de Réunion de Musées Nationaux)
Quelques exemples : certains décorateurs
impliqués dans le mouvement (Tiffany, Mucha, Gallé)
L’Art Nouveau n’a pas eu de répercussions que dans la
décoration intérieure (H. Guimard)
Octave Mirbeau écrit sur ce
style : « les meubles ont l’air d’avoir bu »
Majorelle a été l’un des principaux
artisans de l’importante École de Nancy
Victor Horta était un autre de ces architectes impliqués dans le
mouvement
Van de Velde fut sans doute le représentant belge le
plus caractéristique du mobilier Art Nouveau
L’Art Nouveau eut une portée internationale
(par exemple l’Espagnol Gaudi)
Mackintosh est peut-être celui qui a su le mieux
combiner les tendances courbes et rectilignes
Hoffmann illustre bien le côté géométrique et nordique
du courant (et une influence de
Thonet)